La fin des coffee-shops

Publié par: Julien Canna-Shops Dans: L'actualité cannabique Le: vendredi, novembre 13, 2015 Commentaire: 0 Vues: 28873
Les coffee-shops, longtemps symboles d’une liberté inimaginables dans les pays voisins, se meurent.

Leur disparition progressive a suscité une vague de déception chez leurs clients européens et sonne la fin d’une époque.

 

Depuis le début des années 1970, la Hollande a donné d’elle une l’image d’un des pays les plus novateurs au Monde en matière sociale : prisons et hôpitaux psychiatriques ouverts, quartiers réservés pour l’exercice de la prostitution légale, système d’assurance santé égalitaire, accueil des migrants, intégration des communautés homosexuelles et tolérance encadrée pour les fumeurs de cannabis. Par ailleurs, cette tolérance s’étendait aux modes de vie alternatifs qui avaient fleuris partout en occident à la fin des années soixante et dont le mouvement des squatters, à Amsterdam et dans les grandes villes du pays était le porte étendard.

 

Les gouvernements sociaux-démocrates et de centre-gauche qui ont administré le royaume aux vélos pendant ces années ont créé un modèle démocratique de type scandinave envié par les voisins du Benelux et, plus tard, de l’Union Européenne. La convivialité des coffee-shops, la réputation festive et libertaire d’Amsterdam étaient choses proprement inimaginables pour les voisins de ce petit royaume de 15 millions d’habitants bénis des dieux. Dans les années 1980 la prohibition dominait largement le paysage en Europe et tout particulièrement en France. La possibilité de pouvoir consommer du cannabis de qualité en toute légalité, confortablement installé devant une boisson chaude apparaissait comme un concept entièrement nouveau, le symbole d’une liberté à laquelle aspiraient en vain de très nombreux usagers européens.

 

L’économie de marché étant ce qu’elle est, une filière touristique pesant plusieurs milliards d’Euros n’a pas tardé à émerger. En 2010, les autorités du pays chiffraient autour d’un million trois cent mille le nombre de consommateurs étrangers qui poussaient la porte d’un coffee-shop chaque année. Le phénomène a d’abord concerné massivement la ville d’Amsterdam, seul véritable pôle d’attraction touristique du pays. Mais dans un deuxième temps, il a affecté de plus en plus massivement les villes frontalières du sud : Breda, Roosendaal, Terneuzen, Goes, Middelburg et autres villes des provinces du Limbourg et du nord-Brabant. Le chiffre d’affaire des coffee-shops locaux a littéralement explosé. Pour prendre l’exemple de la ville de Terneuzen, à la frontière sud du territoire et à une heure de route de Lille, le Check-Point était un établissement où il fallait parfois faire la queue avec son ticket une bonne demi-heure pour se faire servir. Le week-end, des milliers de jeunes (et moins jeunes) français majoritairement, mais aussi belges et allemands venaient y consommer dans un lounge immense et perpétuellement enfumé. Ils s’en retournaient souvent chez eux après y avoir fait quelques emplettes et passé une excellente journée.

 

« Il ne faut jamais oublier que les Pays-Bas sont aussi et d’abord un pays de culture protestante et en tant que tel, souvent puritain… »

 

Aujourd’hui, cette époque apparaît bien lointaine. Depuis des années déjà, la hollande est entrée dans une phase d’alternance politique radicale. Les partis chrétiens/luthériens orthodoxes et conservateurs ont accru leur représentation à la chambre des députés. Par ailleurs, le Parti pour la Liberté (PVV), fondé en 2006 par Geert Wilders, porte la voix de l’extrême droite populiste à l’Assemblée législative et participe au gouvernement. Il ne faut jamais oublier que la Hollande est aussi un pays TRES protestant et, en tant que tel, puritain, attaché à la discrétion, au respect de la morale et de la loi dans l’espace public. La tolérance a donc trouvé ses limites et Mark Rutter, le premier ministre, « ennemi personnel » auto-proclamé du cannabis a entrepris en l’espace de quelques années un détricotage systématique des espaces de liberté laissés par ses prédécesseurs.

 

La tentative, en 2012, d’imposer le Wietpass, sorte de passeport réservant les plaisirs de la fumée légale aux nationaux, aura tourné court. Les acteurs de la filière se sont mobilisés pour défendre leurs entreprises et le débat a été houleux. Il semble que leur poids économique ait pesé dans la balance. Pas question par exemple de toucher aux coffee-shops d’Amsterdam car en période de crise, c’était la catastrophe annoncée pour tous les professionnels du tourisme, bien au-delà des tenanciers d’établissements. Mais le raisonnement valait aussi pour d’autres grandes villes ayant bénéficié peu ou prou de ce commerce. Par ailleurs, au cours de cette période, le trafic de rue qui avait disparu depuis vingt ans a refait surface. Devant la levée de boucliers suscitée par la brutalité de la mesure, le gouvernement de la Haye a du faire volte-face sans toutefois renoncer à ses objectifs prioritaires : démanteler à moyen-terme la filière cannabis.

 

Les fumeurs qui faisaient le voyage depuis les régions du nord de la France et la Belgique ont constitué une des cibles prioritaires. La coalition de centre-droite a d’abord fait voter en 2013 une loi donnant tous pouvoirs aux élus locaux pour réglementer ou interdire purement et simplement les coffee-shops dans « leur » ville. Les établissements situés dans les zones frontalières ont fermé les uns après les autres. Ceux qui sont restés ouverts se sont vus interdire d’accueillir des ressortissants étrangers. Pour tous les consommateurs étrangers qui n’ont pas reçu le message et se sont entêtés à s’aventurer plus à l’intérieur du pays, les interpellations et les amendes se sont multipliées, rappelant à tous que si la consommation est tolérée, l’exportation est et restera interdite. Des actions de coopérations très efficaces ont été menées avec les douanes belges et françaises. Des douaniers français ont été postés sur les parkings à proximité des coffee-shops pour relever les numéros d’immatriculation de probables contrevenants afin de les arraisonner à la frontière.

 

« La Hollande n’a jamais été le paradis des fumeurs que beaucoup ont cru voir en elle…. ».

 

Pour beaucoup de touristes occasionnels, cette attitude répressive a constitué une profonde déception. Sur les réseaux sociaux et les forums les commentaires amers et désabusés se multiplient à l’image de celui laissé par Wizzard33 sur le forum Cannaweed : « De toute façon, là-bas, maintenant, c’est mort, il n’y a que des sabots, des canaux et des moulins sous la pluie, des trucs de vieux, quoi, pas terrible pour attirer le touriste». L’image festive, libertaire et accueillante traditionnellement véhiculé par la Hollande semble avoir laissé la place à celle d’une société strictement conservatrice, fermée et implacablement répressive, sans doute tout aussi fausse. La vérité est probablement au milieu. La Hollande n’a jamais été le paradis des fumeurs que beaucoup ont cru voir en elle. Si l’usage du cannabis y a longtemps été toléré, encourageant le développement d’une filière économique, il n’était pas mieux perçu par l’opinion majoritaire que le fait de fréquenter les quartiers « réservés ». Faut-il rappeler qu’en dépit d’une large disponibilité à la vente la consommation de cannabis par habitant est inférieure de 30% à celle constatée en France. La tolérance est certainement une vertu nationale mais elle suppose aussi une certaine forme de condescendance apitoyée. Elle ne pouvait en aucun cas s’accommoder d’un trafic transfrontalier régulier et massif. Non plus que de voir l’image du pays associée à celle de la feuille de chanvre.

 

Toutefois, il est aussi exact que les hollandais sont favorables à la légalisation à hauteur de 61%, alors qu’en France, ce sont 63% des sondés qui s’y déclarent opposés. Cet épisode est aussi révélateur de deux conceptions de la loi et de la société qui s’opposent. Comme le remarque Rik, un avocat hollandais goguenard : « En France les lois sont souvent inadaptées, voire inapplicables. Il est donc normal de tenter de les contourner ou, du moins, n’est-ce pas si grave. Chez nous, nous faisons en sorte de mettre la législation en accord avec les pratiques sociales. Mais, en retour, la société attend du citoyen qu’il s’y conforme strictement. En France, par exemple, de nombreux collectifs de breeders « responsables » ont émergés ici et là. Leur activité est illégale mais les pouvoirs publics restent indifférents à cette violation car l’ordre public n’est pas directement menacé. Ici, en Hollande, les Cannabis Social Clubs sont rarissimes et totalement clandestins parce qu’illégaux ». La volonté du gouvernement de briser la filière se heurte donc à un décalage de sensibilité avec l’opinion publique qui reste attachée au respect de ce qu’elle considère comme une liberté. Comme souvent, le cannabis polarise les conflits et les débats sur l’évolution de la société. Ce combat continue et bien aventureux celui qui se risquerait à en prédire l’issue.

 

Source: Dinafem

 

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